Comment expliquer ce fossé immense entre l’ampleur de l’Endométriose dans le monde et l’errance qui l’entoure ? Pourquoi est-elle si méconnue ? Est-ce si difficile que ça de diagnostiquer cette maladie ? En théorie non. C’est même sur le papier assez facile : en 2017, la Haute Autorité de Santé recommandait de diagnostiquer l’Endométriose par un interrogatoire de la patiente, un examen gynécologique ou bien une IRM pour les femmes vierges.
Quand la patiente coche trois ou quatre cases, l’affaire est gagnée. En fait l’interrogatoire est majeur, le diagnostic se fait là-dessus.Dr Erick Petit
Dans la pratique c’est beaucoup plus compliqué. Déjà parce souvent les patientes ne consultent pas le bon médecin.
Ces douleurs sont tellement diverses qu’elles finissent par rendre confuse l’approche du dossier. Il faut avoir une vision synthétique.
Aussi, parce que les douleurs ne sont pas constantes et il arrive que la maladie soit dormante avec la prise d’hormones par exemple, ou en cas de grossesse ou allaitement. Et enfin, parce que les lésions ne sont pas simples à voir.
Dépister une Endométriose légère, c’est souvent hors de portée des praticiens notamment radiologues qui ne sont pas suffisamment expérimentés pour faire le diagnostic précis.
Résultat, le diagnostic prend en moyenne entre 5 et 10 ans, causant une errance médicale chez la patiente qui peut être lourde de conséquences.
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Transcript
Marianne Murat : Je reçois beaucoup de messages depuis le lancement du podcast. Des personnes qui témoignent à leur tour de leur Endométriose, de leur parcours : parfois chemin de croix, parfois, et heureusement il y en a, promenade de santé. Et ce qu’on me dit le plus souvent c’est : « mais je ne savais pas que tu souffrais ». Et bien non. L’Endométriose, mon secret le mieux gardé. Par pudeur peut-être, par honte surement, par bêtise certainement. Je sais que c’est en parlant qu’on avance. Mais pendant tellement longtemps on m’a dit que je n’avais rien malgré les douleurs, que j’ai appris, progressivement, à ne plus me plaindre. Quand même les personnes que tu as de plus proches ne te croient pas, tu finis toi par les croire eux.
Ma maman : Je me souviens quand tu me disais ‘maman, j’ai ça’. Et moi je te disais ‘mais enfin Marianne, si les médecins ne le voient pas, ne le savent pas, ou les médecins te disent que ce n’est rien, ce n’est pas possible tu ne peux pas l’avoir’.
Marianne : 18 ans après mes premières règles, j’ai officiellement été diagnostiquée par le Dr Erick Petit. Et dans un monde meilleur, voire utopiste, j’aimerais vraiment qu’aucune autre femme n’attende aussi longtemps pour mettre un mot sur ses maux. Si aujourd’hui je vous raconte mon histoire sans aucune pudeur, ce n’est pas par exhibitionnisme. Loin de là. Je doute à chaque épisode, sachez-le. Je doute parce que je me demande, est-ce que ce n’est-ce pas trop personnel ? Est-ce que j’ai vraiment envie de dire ça à voix haute ? Est-ce qu’on va me regarder différemment après ? Et mes collègues, mes patrons ? Pire, ceux d’Hugo… C’est la honte s’ils écoutent… Puis je me souviens que la cause est plus grande. Que moi aussi j’ai envie, modestement, de mettre ma pierre à l’édifice de la libération de la parole, c’est mon chemin de croix à moi... Ce n’est que comme ça que l’Endométriose sera mieux connue, et donc, mieux diagnostiquée.
Dr Erick Petit, radiologue : C’est comme ça, c’est long pour faire avancer les consciences. Alors ça progresse depuis 10 ans, 5ans, 3 ans, de façon exponentielle, grâce à des gens comme vous, grâce à la médiatisation de la maladie, bien entendu, et à quelques médecins comme moi, ou mon équipe, ou d’autres. Nous essayons de sensibiliser la population à la réalité de cette douleur et surtout nos collègues. Mais c’est là où c’est le plus long et le plus difficile parce qu’il y a une certaine résistance, mais qui est en train de tomber progressivement.
Marianne : Mesdemoiselles, mesdames, messieurs… Bienvenus dans le troisième épisode d’Happy Endo.
On le sait, les symptômes ne sont pas constants dans le temps. Et ce qui rend le diagnostic encore plus compliqué, c’est qu’ils varient d’une patiente à une autre. Autrement dit, les symptômes changent selon les personnes et changent aussi au fil des années chez une même femme. Depuis le début d’Happy endo je dénonce mes 18 ans d’errance médicale. Mais je n’ai pas autant souffert durant toutes ces années, attention. Ça a été par vagues. Au début, c’était horrible. De mes 12 à 15 ans. Mais mes parents ne se sont pas affolés, ils ne pensaient même pas que ça puisse être grave.
Mon papa : J’ai su par maman que tu avais des problèmes au niveau de règles douloureuses quand tu étais un peu plus jeune, je ne m’en occupais pas spécialement.
Maman : Tu déclinais quand même en santé parce que tu manquais de fer avec ces règles si longues. Tu manquais de fer, tu avais des cernes sous les yeux. Et puis bah, on te soignait à l’ancienne, avec du Tardiferon. Et puis… et puis on se disait ‘bah voilà ça va passer’. Malheureusement, ce n’est pas passé.
Marianne : Et, techniquement, ils avaient raison. Parce qu’à la puberté, les fluctuations hormonales sont fréquentes, la mise en route des cycles peut occasionner des douleurs qui, quand on n’est pas malade, s’estompent au fil du temps. Mais moi j’étais malade, on ne le savait juste pas. A 15 ans, j’ai pris la pilule contraceptive et les symptômes se naturellement calmés grâce aux hormones, sans qu’on fasse vraiment le lien. Ensuite, en 2010, après une rupture, j’ai arrêté la pilule pendant quelques mois. J’avais 20 ans. Et là, le cauchemar a réellement commencé. Même si je l’ai rapidement reprise, c’était trop tard. Les règles, l’ovulation, les rapports sexuels… La fatigue permanente à m’endormir en toutes circonstances, les ballonnements, les intolérances alimentaires, les cystites à répétition… Si vous avez écouté l’épisode 2, vous avez appris, comme moi, qu’en fait ce n’étaient pas des cystites, que ce n’était pas non plus le syndrome de l’intestin irritable.
C’est facile une fois qu’on connait l’Endométriose, ses symptômes, ses conséquences, de soupçonner qu’on souffre de cette maladie. Le problème c’est qu’on ne connait pas l’Endométriose. Et même si on en parle de plus en plus, il y encore une telle ignorance autour de cette maladie, de la part de la société mais aussi de la part du corps médical. Vous saviez que l’Endométriose est officiellement entrée dans le programme de second cycle des études de médecine en France par un arrêté du 10 septembre 2020 ? 2020. Y a de quoi s’étonner quand même, s’énerver même.
Maman : Notre médecin de famille disait ‘bon bah Marianne, c’est normal d'avoir mal, c'est dans ta tête’. Aussi souvent malheureusement, c'était dans ta tête. Je me souviens que tu avais vu plein plein plein de gynécos différents et que aucun aucun vraiment n’avait diagnostiqué quelque chose de grave en fait. Donc c'est terrible pour vous, pour toutes celles qui ont ça, parce que ce sont des douleurs atroces.
Margot, une amie : Non, a priori, si on doit aller voir 15 médecins différents pour savoir qu’on a de l’Endométriose, a priori ce n’est pas très bien pris en charge, non. On a entendu plein de témoignages, que ce soit sur les réseaux sociaux, ou d’amis qui nous disent que ça fait des années qu’ils se battent, qu’ils ont mal. Toi tu en as bavé notamment.
Marianne : Et vous vous souvenez de l’anecdote de l’hôpital le soir de la fête de la musique que je vous racontais dans l’épisode précédent ? Et bien, sans que je lui dise que j’allais en parler dans le podcast, ma maman s’en est souvenu aussi.
Maman : Je me souviens des fois où tu partais aux urgences parce que tu hurlais de douleur et que même les médecins aux urgences te disaient ‘mais arrêtez madame, arrêtez, ce n’est pas la peine de crier comme ça, ce n’est pas grave’. Là on se dit ‘mais mon Dieu, qu'est-ce que ça peut être ?’ Parce que on ne connaissait pas l'Endométriose. On n’en parlait pas et puis on ne lisait rien là-dessus, parce que, pour nous, c'était une maladie qui n'existait pas à la limite.
Marianne : L’indifférence de la part de la société est peut-être plus facilement compréhensible. Sans communication, c’est plus difficile de connaitre la maladie. Encore plus si on n’est pas directement concerné.
Hugo, mon conjoint : Je suis persuadé que beaucoup beaucoup de gens ne te comprennent pas. Je pense que c'est un fait, et à juste titre d'ailleurs. Quand on ne connaît pas une douleur, qu'on ne l'a jamais vécue, on a beaucoup de mal à se projeter. C'est aussi pour ça qu'on a peut-être plus d'empathie de manière générale vis-à-vis des pathologies qui sont visibles, parce qu’on peut se projeter, on peut réussir à s'en faire une idée, ce qui n'est pas le cas avec des maladies chroniques qu'on ne voit pas.
Marianne : Mais même quand on est concernés, il y a encore beaucoup de travail. Pour réaliser ce podcast, j’ai discuté avec mon ami Alex. Sa femme Sophie souffre elle aussi d’Endométriose, et je voulais savoir ce qu’il comprenait, lui, de la maladie, en tant qu’homme, en tant que mari. Et, sans surprise, comme tout le monde, il est plutôt perdu.
Alexandre, un ami : Quand quelqu’un dit ‘j’ai de l’Endométriose’, tu en déduis qu’il y a peut-être un risque pour les grossesses, qu’il y a surement des douleurs. Enfin en tout cas, moi, c’est comme ça que je le comprends. Mais, en fait, ça ne veut pas dire grand-chose puisque les symptômes sont différents suivant les personnes. Donc je pense qu’on a encore beaucoup de travail d’explication pour que le grand public et surement les hommes en sachent un peu plus là-dessus.
Marianne : Alors comment expliquer ce fossé immense entre l’ampleur de l’Endométriose dans le monde et l’errance qui l’entoure ? Pourquoi est-elle si méconnue ? Est-ce si difficile que ça de diagnostiquer cette maladie ? Et bien en théorie, non. Pas du tout. C’est même sur le papier assez facile : en 2017, la Haute Autorité de Santé recommandait de diagnostiquer l’Endométriose par un interrogatoire de la patiente, puis un examen gynécologique ou bien une IRM pour les femmes vierges.
Dr Erick Petit : Quand la patiente coche trois ou quatre cases et bien l’affaire est gagnée. En fait l’interrogatoire est majeur, le diagnostic on le fait là-dessus.
Caroline Mollard, kinésithérapeute : Le radiologue est juste là pour le confirmer. Éric Petit le dit très bien, il a un questionnaire. A partir du moment où il y a une ou deux questions déjà où la réponse est oui. Après lui, il a juste à chercher et à trouver où c'est. Et de mémoire, tu avais répondu à son questionnaire et sur la vingtaine de questions, je crois qu’il y en avait 18 ou c’était oui et donc en fait c'était sûr.
Marianne : Oui mais voilà, dans la pratique c’est beaucoup plus compliqué. Déjà parce souvent les patientes ne consultent pas le bon médecin. Moi la première. Je suis allée voir un gastroentérologue pour mes problèmes digestifs. On peut aussi aller voir un urologue pour les cystites, un rhumatologue pour les tendinites… Et perdre ainsi des années précieuses.
Dr Erick Petit : Entre l'inflammation, entre les adhérences, entre les nerfs excités et irrités, et puis l’hypomobilité des organes pelviens et bien il y a au moins 4 facteurs sources de douleurs pelviennes. Et c’est comme ça que toutes ces douleurs erratiques, diverses et complexes finissent par perdre les praticiens consultés qui sont nombreux. La porte d’entrée des consultations peut être aussi bien la sphère gastroentérologique, un rhumatologue, presque un neurologue, un pneumologue… Donc, vous voyez, que ça part dans tous les sens. Ces douleurs sont tellement diverses qu’elles finissent par rendre confuse l’approche du dossier. Il faut avoir une vision synthétique. Et la seule maladie féminine qui réunit toutes ces douleurs, et bien il n’y en a pas 36, c’est l’Endométriose.
Marianne : Aussi, parce que, comme on le disait au début d’épisode, les douleurs ne sont pas régulières. Et la maladie peut être silencieuse par moment, notamment lorsqu’on a des hormones dans le corps qui soulagent les inflammations. Alors pourquoi se faire diagnostiquer quand on ne souffre pas ?
Caroline Mollard : En fonction des générations et des époques, il va y avoir des femmes finalement qui vont se marier très tôt, avoir des enfants tôt, et on sait que quand on est enceinte, quand on allaite, normalement les symptômes ne sont pas apparents, donc les femmes ne souffrent pas. Donc on pense qu’elles n’en ont pas mais en fait, elles en ont, sauf que c'est au repos. Les femmes qui très vite ont pris la pilule aussi. Chez certaines, ça suffit pour ne pas avoir des règles très abondantes, des douleurs très importantes. Donc toutes ces femmes-là, il y a sûrement beaucoup de femmes qui n'ont pas été détectées.
Marianne : Et enfin, l’Endométriose est mal diagnostiquée parce que, on l’a déjà dit dans Happy Endo, les lésions ne sont pas simples à voir. Un gynécologue ou un radiologue qui n’est pas formé à la détection de cette maladie spécifiquement peut totalement passer à côté des lésions… Et, on l’a vu, les apprentis médecins ne l’étudient officiellement que depuis 2020. Cette donnée parle d’elle-même, le nombre de spécialistes est donc, à ce jour, extrêmement limité.
Dr Erick Petit : Dépister une Endométriose légère, c’est souvent hors de portée des praticiens notamment radiologues qui ne sont pas suffisamment expérimentés pour faire le diagnostic précis. D’où, le retour à la case départ et qu’on dit à la femme ‘finalement, c’est bien dans votre tête’. C’est ce que vous avez vécu Marianne, c’est dans votre tête et donc retour à la case départ, d’où l’aggravation du retard diagnostic et finalement vous avez abouti à 18 ans de retard diagnostic, voilà.
Marianne : Personnellement j’avais perdu foi. Des années que je frappais aux portes des médecins. En plus de la coloscopie en 2020, j’ai fait une IRM la même année. J’avais déjà pris le rendez-vous avec le Dr Erick Petit mais comme il n’était que plusieurs mois plus tard, j’avais aussi contacté un autre médecin qui avait moins d’attente. Je me souviens parfaitement de ce moment, c’était le 26 décembre. Juste après Noel, deux jours avant mon anniversaire. Hugo m’accompagnait, et je m’étais dit que ça serait le plus beau des cadeaux d’anniversaire qu’on me dise officiellement que j’avais l’Endométriose. C’est pathétique de vouloir ça comme cadeau, vous ne trouvez pas ? J’en étais vraiment réduite à ça ? Faut croire que oui. Le radiologue, dont bien sur je tairais le nom, n’a pas vu les lésions sur mes ligaments utéro-sacrés. Mais ce qui m’a le plus choqué, c’est sa réaction. Il nous a installés, Hugo et moi, dans son petit bureau et il a ri. Il a juste ri. J’imagine qu’il ne pensait pas à mal, il était surement content de nous dire que je n’avais aucun problème. Mais je me souviens encore aujourd’hui, comme si c’était hier, de son rire, de son grand sourire, de toutes ses dents et de ce qui reste encore dans ma mémoire comme de la condescendance. J’étais dépitée. Epuisée physiquement mais encore plus moralement. J’étais à bout, je ne faisais plus confiance à personne et je voulais même annuler mon rendez-vous avec le Dr Petit que pourtant j’attendais déjà depuis six mois. Heureusement, Hugo m’a résonnée.
Hugo : C'est moi le premier qui te disais qu'il fallait aller voir un médecin. A l'époque, tu avais quand même beaucoup de mal aussi avec certains médecins parce que beaucoup ne réussissaient pas à poser un diagnostic dessus, beaucoup ne comprenaient pas forcément ces douleurs-là. Ce sont des douleurs qui étaient tellement diffuses et tellement différentes que venir voir un médecin en disant ‘j’ai mal eu ventre’. Le premier lien qui se fait ne sera pas forcément, et à juste titre d’ailleurs, avec l'Endométriose.
Marianne : Je n’ai donc pas annulé le rendez-vous. Il était deux mois et demi plus tard, le 13 mars 2020. Je ne sais pas si vous croyez aux signes de l’univers, moi pas spécialement. Mais, là, je me dis qu’il était vraiment de mon côté, l’univers. C’était un vendredi. Il n’y avait pas créneaux les samedis et les dimanches. Et ensuite tous les rendez-vous à partir du lundi ont été annulés dans cet hôpital à cause du Covid. Car le lendemain, le mardi 17 mars 2020, la France décrétait son premier confinement national. J’ai donc eu un des derniers rendez-vous, après 9 mois d’attente. Et là en vous parlant, je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces personnes qui aussi avaient pris rendez-vous 9 mois avant mais qui avaient un rendez-vous un peu plus tard dans la semaine, et j’espère du fond du cœur qu’elles ont depuis été diagnostiquées.
Ce 13 mars 2020, donc, le Dr Petit fait ce qu’on appelle une échographie endovaginale, c’est-à-dire qu’il explore l’utérus et les ovaires à l’aide d’une sonde placée dans le vagin, technique de diagnostic réalisée, je le répète ici, uniquement sur les femmes qui ne sont plus vierges. Et tout de suite, il trouve les lésions. Il m’explique ce qu’il voit, que mon Endométriose est située sur mes ligaments utéro-sacrés, et me propose de prendre rendez-vous avec le Dr Marie Ceccarelli, médecin généraliste spécialisée dans le suivi de la maladie. C’est comme ça que j’ai enfin compris pourquoi, dans mon cas précis, le diagnostic avait pris autant de temps.
Dr Marie Ceccarelli, médecin généraliste : Dans votre cas, comme les lésions sont plutôt superficielles, dans des endroits classiques où on trouve l’Endométriose, sur les ligaments, dans le cul-de-sac, mais ce sont des petites lésions, de tissus dans du tissu. Ça ne crée pas de gros nodules, ça ne crée pas de gros kystes. Faut être très entrainé pour voir ça, donc un radiologue qui n’a pas du tout été formé ou qui a très peu vu ça au cours de sa vie de radiologue, il ne va pas les voir. C’est très difficile à voir. Alors, aujourd’hui, ce qui évolue aussi c’est la technologie. Les échographies sont de plus en plus précises et les IRM sont de plus en plus accessibles aussi. Ça permet d’affiner le diagnostic et les images mais c’est vrai que quelqu’un qui n’a pas l’habitude de voir ce genre de lésions passera à côté.
Marianne : C’est dur à entendre, « des lésions trop superficielles pour être détectées facilement ». Vous vous souvenez dans l’épisode précédent quand on disait qu’il n’y a pas de corrélation entre l’étendue des lésions et l’intensité des douleurs ? On y est. C’est difficile à croire que des lésions si petites puissent faire souffrir autant. Et pourtant. Bienvenus dans le monde complexe et paradoxal de l’Endométriose.
A l’annonce de mon diagnostic, j’ai pleuré. Mais j’ai pleuré de joie. Des larmes de soulagement, de toute la pression qui retombe, enfin on avait posé un mot sur mes maux. Enfin je vais pouvoir arrêter de chercher et me consacrer sur l’après. Je vais pouvoir dire que je n’étais pas une menteuse, que j’avais raison, qu’il y avait vraiment un problème avec mon corps. Je vais pouvoir crier que je n’étais pas folle. Pleurer à l’annonce d’une maladie vous trouvez ça étrange vous ? Aussi étrange que vouloir un diagnostic positif en cadeau d’anniversaire ? Je suis d’accord. Mais pleurer à l’annonce de cette maladie, apparemment ce n’est pas si rare que ça.
Dr Erick Petit : C'est très fréquent. Il y a une forte émotion libérée parce que, quand on est en errance diagnostic depuis des années et que, enfin, quelqu'un vous écoute et prend en compte vos symptômes, effectivement, ce sont des larmes de joie. Ça libère une émotion forte, ça déculpabilise, parce que les femmes sont enfermées, isolées, et culpabilisées, d'être foldingues, d’être considérées comme des cinglées. De perturber la vie des autres en faisant presque exprès. C’est dramatique. Donc quand on est validées dans l’organicité de sa maladie, on n’est plus responsable de ça, on sort de cette culpabilité. Ça c’est majeur.
Marianne : J’étais tellement heureuse que j’ai invité mes parents au restaurant. Et on a célébré l’annonce comme si on fêtait une bonne nouvelle.
Papa : Pour toi c’était une espèce de petite renaissance intérieure, viscérale. Tout le monde qui te voyait, qui t'entourait, et qui te connaissait, voyait que tu étais la plus heureuse des femmes alors, qu'en fait, on était au pied du mur à ce moment-là.
Maman : Et quand tu m'as dit ‘je l'ai’, je ne t'ai pas crue. Et quand tu m'as dit ‘on a enfin trouvé’ et tu étais tellement heureuse de te dire qu’on avait trouvé. Je me suis dit que c’est quand même malheureux d’être heureuse d’avoir enfin mis un mot sur cette maladie, qui fait mal. Mais malgré tout tu étais heureuse de te dire ‘enfin quelqu’un l’a vue, quelqu’un m’a comprise’.
Marianne : Fêter la bonne nouvelle d’avoir une maladie. On en arrive là quand ça fait des années qu’on est dans le flou total. Célébrer le fait d’enfin savoir, d’être reconnue, célébrer le fait d’avoir raison, célébrer l’espoir, les traitements, les beaux jours devant soi. Célébrer le fait que ce soit une maladie qui ne tue pas et que les lésions, dans mon cas, ne soient pas placées dans les trompes ou les ovaires. Célébrer un éventuel futur bébé malgré la maladie et célébrer cette revanche sur tant d’années d’errance. Mais, une fois la joie et l’émotion passée, on se souvient quand même assez brutalement que 1- on est malade et 2- on a perdu x nombre d’années à ne pas savoir, x nombre d’années à ne pas se soigner, x nombre d’années pendant lesquelles les règles ont propagé la maladie dans le corps.
Hugo : Je ressens beaucoup de frustration, me dire qu'on aurait pu savoir plus tôt. Oui. J'aurais aimé le savoir plus tôt. J’aurais aimé que tu le saches plus tôt. Le vrai sujet, pour moi, c'est qu'on doit, je pense, changer de logique vis-à-vis de l'Endométriose. Est-ce qu’on ne devrait pas aujourd'hui être plutôt dans du dépistage plutôt que dans du diagnostic ? 10 % de la population féminine, c'est juste gigantesque, c'est juste gigantesque. Est-ce qu’avoir des politiques de dépistage ne serait pas la bonne solution ?
Marianne : Il a raison Hugo, et des politiques de dépistage, les spécialistes de l’Endométriose comme le Dr Marie Ceccarelli en rêvent.
Dr Marie Ceccarelli : Ce qui serait super c’est qu’on y pense dès le collège, dès les premières règles. Si une jeune fille se plaint de ses règles, il faut diagnostiquer très tôt. Et dans ce cas-là, après, on coupe les règles, et on stoppe l’évolution donc ça reste des formes qui sont très légères.
Marianne : Malgré les délais de diagnostic encore trop long et le manque de connaissance et de formation autour de l’Endométriose, on assiste progressivement à un changement et à une prise de conscience. La médiatisation ne cesse de s’amplifier ces dernières années et la maladie sort doucement de l’ombre. C’est positif, ou du moins ça va dans le bon sens.
Sébastien, un ami : Je suis passé de connaissances ou d'amies qui avaient des règles douloureuses, qui se plaignaient régulièrement d'avoir des douleurs au ventre, à, en fait, des personnes qui avaient depuis toujours de l'Endométriose. Presque la totalité de mes amies l'ont. En tout cas, une très grande partie de mes amies ont l'Endométriose. C’est choquant, on ne s'y attend pas à ce que ça touche autant de monde à la fois.
Marianne : Conséquence, certains médecins sont plus alertes, sensibilisés. Et même s’ils ne sont pas eux-mêmes experts de l’Endométriose, ils ont désormais le réflexe d’envoyer vers un confrère spécialisé.
Margot : A partir du moment où il y a eu mon stérilet, c’était plus douloureux pendant les règles, plus abondant. Et j'avais commencé à connaître des petites contractions pendant et hors règles. Pendant les règles mais pas que. Des moments où d'un coup je ne pouvais plus bouger. C'est comme une décharge électrique qui fait que tu ne peux plus du tout bouger. Je ne me suis pas inquiétée plus que ça. J'étais persuadée que c'était mon stérilet. Au fur et à mesure, j'ai commencé à avoir des douleurs pendant la pénétration. Donc j'ai pris rendez-vous avec ma gynécologue. Elle m'a fait une écho pelvienne. Elle m'a dit ‘bah non le stérilet est parfaitement à sa place’. Et je pense que ça lui a mis la puce à l'oreille et elle a commencé à regarder un peu plus en détail mes ovaires et là elle a vu de l'Endométriose. Elle n’en était pas sûre à 100 % et du coup, elle m'a envoyé faire une IRM.
Emma, une amie : J’ai depuis toujours des règles extrêmement douloureuses et je me doutais bien que ce n’était pas normal. Et en fait depuis un an ou deux ans, je me dis que ça doit peut-être être en lien avec endométriose mais j'ai je n’avais jamais test. Et en fait j'ai eu une chance inouïe, c'est que ça a pris en fait deux rendez-vous pour me le diagnostiquer. C’est-à-dire que le premier gynéco chez qui je suis allée voir, c'est ça qui est complètement fou, dans le même centre mais tu vois un autre gynéco qui n'est pas spécialisé là-dedans, il m'a dit ‘oui, je soupçonne, je suspecte, mais je ne suis pas sûr’ alors que le gynéco qui était spécialisé dans l’Endométriose, à peine l’echo pelvienne avait-elle commencée, qu'il a fait ‘vous avez bien fait de venir parce que vous avez vraiment une Endométriose très profonde’. Elle fait des câlins à mes ovaires et à ma vessie. Tu vois ce n’est pas petit. Donc je comprends pourquoi je souffre le martyre à chaque fois que j'ai mes règles. Et en fait, je voulais juste te dire que je me reconnaissais vachement en toi quand tu me disais que tu étais soulagée quand tu as eu ton diagnostic. Parce que moi, quelque part, je me suis dit mais toutes les fois où j'ai dit à mes proches ‘écoutez, là, je ne peux pas je suis désolée, j'ai trop mal au ventre’ et qu’il y a eu des réactions ‘Non mais ça va, tu as juste tes règles, c'est bon’. Mais en fait tout ça a remis les choses à leur place et j'ai compris pourquoi bah ouais en fait juste avec des règles, j'avais mes règles mais j'ai aussi de l’Endométriose et donc j'ai très mal au ventre et c'est comme ça.
Marianne : Je suis tellement heureuse de pouvoir diffuser ces deux témoignages de mes amies Margot et Emma. Me dire que de plus en plus on peut être diagnostiqué rapidement. Qu’il y a aussi des histoires positives à raconter autour de l’Endométriose. Malheureusement, le diagnostic n’est pas une fin en soi. C’est un long chemin pour y arriver, parfois chaotique, et la maladie ne disparait pas une fois découverte. Il faut ensuite vivre avec, ce qui n’est pas une mince affaire. Car l’Endométriose à de lourdes conséquences au quotidien. Des conséquences qui impactent la patiente bien entendu, mais aussi ses proches et son couple, si couple il y a. Pour le dire autrement, des conséquences qui impactent toute son intimité, c’est le sujet qu’on abordera dans le prochain épisode.
Je m’appelle Marianne Murat, et ce podcast c’est mon histoire… mais aussi peut-être la vôtre et surement celle de quelqu’un autour de vous. Si ce troisième volet d’Happy Endo vous a plu, s’il vous a touché, n’hésitez pas à le partager. C’est important de libérer la parole, de s’exprimer, c’est important de briser les tabous autour de cette maladie, et surtout d’essayer jour après jour de mieux la comprendre. Pour ma part, je vous donne rendez-vous au prochain épisode. A bientôt.